Congratulations, Grigory

Our top correspondent here at the blog and the former political prisoner, Grigory Pasko, today is featured in a full page profile in Le Monde. After the jump, the text in French. Translation forthcoming. Le%20Monde%20page%2018%20dat%C3%A9%2014%20novembre%202007%20Grigory%20Pasko.jpg

From Le Monde:

PortraitGrigori Pasko, en dissidence surveilléeSurtout, ne jamais plier. Ne pas leur offrir ce plaisir. N’attendre aucune pitié ni faveur de la part de ses oppresseurs. C’est en s’accrochant à ces principes que Grigori Pasko a survécu depuis dix ans à la prison, aux humiliations, aux poursuites. C’est en leur restant fidèle qu’il met sa vie en danger, conscient des risques, mais décidé à ne pas se trahir. A 14 ans, il voulait devenir journaliste et rédigeait ses premiers articles. A 45 ans, il exerce ce métier à sa façon. Indépendant, pugnace, idéaliste. Une belle voix isolée en Russie.Grigori Pasko est un vétéran parmi les victimes des répressions politiques de l’ère Poutine. Après ses études de journalisme, achevées en 1983 à l’Institut politico-militaire de Lvov, dans l’ouest de l’Ukraine, il est muté à Vladivostok, dans l’Extrême-Orient soviétique. L’effondrement de l’URSS ouvre des possibilités sans précédent pour la presse. L’officier de marine Pasko s’illustre dans le journal de la flotte du Pacifique, Boïevaïa Vakhta (Sentinelle de combat). A l’information officielle, il préfère l’investigation.Ses premiers ennuis arrivent lorsqu’il s’intéresse aux pannes à bord de sous-marins nucléaires. En 1993, il filme clandestinement le largage en mer de déchets nucléaires. Des images reprises par la chaîne de télévision publique japonaise NHK. Grigori Pasko enquête alors sur le sort mystérieux de 100 millions de dollars donnés par le Japon à la Russie pour le recyclage des déchets radioactifs. L’officier est repéré. C’est peu dire qu’il énerve sa hiérarchie.Arrêté en 1997 après des mois de filature et d’écoutes, Grigori Pasko passe près de deux ans en prison, en détention provisoire, puis est condamné en décembre 2001 à quatre ans pour “haute trahison” par le tribunal militaire de Vladivostok. En juin 2002, la Cour suprême confirme cette sentence. “Je m’en suis bien sorti, lance-t-il. Si j’avais été jugé après 2005, j’aurais pris quinze ans, comme d’autres.” Marina Katsarova, qui avait suivi son dossier pour Amnesty International, fournit l’explication : “Il a été victime d’une vendetta de la part des services spéciaux russes, qui avaient perdu beaucoup de crédibilité avec l’affaire Alexandre Nikitine.” Cet officier de marine et militant écologiste avait été reconnu innocent des accusations de haute trahison fabriquées contre lui.Incarcéré dans le camp no 41 d’Oussourisk, dans l’Extrême-Orient russe, Grigori Pasko a été soumis à un régime de détention sévère. Un matériau de choix pour écrire. “Il y avait 1 300 détenus, se souvient-il. J’étais le seul qui avait un haut niveau d’études et qui ne fumait pas.” Une fois seulement, il envisage de poser le genou à terre, en décembre 2001. Il est alors emprisonné pour la seconde fois. “Il faisait un froid de chien, les conditions étaient misérables, dit-il. L’idée lamentable de rédiger une demande de grâce, à l’attention du président Poutine, s’est introduite dans ma tête. Je n’en ai pas dormi. Le lendemain, ma femme m’a rendu une visite imprévue. Elle m’a dit : je sais à quoi tu penses. C’est hors de question. Je t’attendrai autant qu’il faudra.” Galina n’a pas dit à leur fils Pavel, né en 1998, où était son père. “En mission”, éludait-elle.Le 23 janvier 2003, Grigori Pasko a été libéré sans avoir cédé sur l’essentiel : son innocence. Mais son combat ne faisait que commencer. Impliqué dans toutes les campagnes de défense des droits de l’homme, de la liberté de la presse et de l’environnement, il s’est rapproché des partisans de Mikhaïl Khodorkovski, l’ancien patron du groupe Ioukos châtié par Vladimir Poutine sans commune mesure avec les délits financiers supposés. Aux yeux du journaliste, la fortune de Mikhaïl Khodorkovski est accessoire. Seul compte son état : “prisonnier politique”.Robert Amsterdam, un des avocats de l’homme d’affaires à l’étranger, l’a engagé comme reporter sur son blog, très hostile au Kremlin. Depuis, Grigori Pasko voyage. Il parcourt les villages russes situés sur les tracés gaziers et pétroliers et dénonce le cynisme des conglomérats. “J’ai vu les mensonges en pratique. Le peuple russe vit mal, alors que le baril de pétrole est à plus de 90 dollars, que nos réserves d’or s’élèvent à 424 milliards, que nous avons d’immenses richesses naturelles, énumère-t-il. A Babaïevo, par exemple, les habitants chauffent leurs maisons avec le bois de la forêt, alors que le gazoduc passe sous leurs pieds.”Après avoir reçu des prix en France et en Allemagne, Grigori Pasko est devenu un symbole. A l’instar de la journaliste assassinée Anna Politkovskaïa, avec laquelle il avait sympathisé au fil des combats. “Depuis qu’elle a été tuée, les journalistes russes se montrent beaucoup plus prudents, alors que moi, je continue d’écrire de la même façon.” Méticuleux, il a fini en 2004 un nouveau cycle de hautes études, à l’Institut juridique de Moscou, histoire de connaître les subtilités du code pénal en cas de nouveaux ennuis. “Un vrai journaliste, en Russie, doit aujourd’hui avoir une formation en droit”, souligne-t-il.Cette polyvalence et le goût de l’écrit lui viennent sans doute de son père. Professeur en chimie et en biologie, doté d’une grande culture, il dirigeait aussi une école du soir, dans laquelle il enseignait toutes les matières. Dans la bibliothèque de la maison familiale, le jeune Grigori a trouvé ses premières lectures, à 4 ans. Adulte, il écrira six livres. En 2000, l’un d’eux a été imprimé à Saint-Pétersbourg. Les 3 000 exemplaires devaient être acheminés par camion à Moscou. Ils ont disparu en route.Entre ses deux séjours en prison, Grigori Pasko a envisagé l’action politique, se présentant sous l’étiquette écologiste aux élections législatives, fin 1999. Vladimir Poutine était premier ministre depuis quatre mois, la deuxième guerre de Tchétchénie débutait. “Le scrutin était trafiqué. Par la suite, j’ai été sollicité par différents partis mais j’ai toujours refusé.”L’écriture sera donc son engagement. Ce courage a un prix ; le danger plane au-dessus de sa tête. Grigori Pasko vit en dissidence surveillée. “Il est difficile de me menacer de prison, car j’ai déjà survécu au pire, dit-il. Le problème est que ce pouvoir ne met plus en prison. Il tue. C’est terrifiant.” Qu’en dit sa femme, Galina ? Cherche-t-elle à le dissuader, à l’inciter à la prudence ? Grigori Pasko se tortille sur son siège. “Me demander d’être prudent n’aurait aucun sens, dit-il. D’après vous, que peut dire la femme d’un mineur à son mari qui descend sous terre ? Et les femmes d’aviateurs ou de marins ? “Surtout, fais attention” ?” C’est la seule question qui indispose le journaliste.Piotr SmolarArticle paru dans l’édition du 14.11.07.