Le Cameroun est souvent nommé « l’Afrique en miniature », du fait de sa diversité géographique et humaine. La diversité du Cameroun, qui devrait être un atout, est devenue la source de l’une des crises les plus négligées au monde. En simplifiant les choses, on peut dire que le Cameroun compte deux régions dites anglophones et huit régions dites francophones. Cette particularité linguistique est un héritage de l’histoire : jusqu’à la fin de la Première Guerre Mondiale, le pays était un protectorat allemand qui a été par la suite placé sous mandat de la Société des Nations avant d’être administré, sous la tutelle des Nations Unies, par la France et la Grande-Bretagne. Se référer à l’histoire du pays est essentiel pour mieux comprendre la situation et les défis auxquels le Cameroun est confronté aujourd’hui.
L’histoire et la politique du Cameroun sont étroitement liées à la France qui a eu un impact considérable sur l’imposition d’un régime monopartite dans le pays. Alors que le Cameroun se tourne vers de nouveaux partenaires, la France continue de maintenir une forte influence sur l’élite politique du régime, à tel point que son rôle pourrait être considéré comme de l’interventionnisme. Ahmadou Ahidjo a dirigé le pays depuis l’indépendance de la partie administrée par la France en 1960, et est resté au pouvoir jusqu’en 1982, l’année à laquelle il a cédé le pouvoir à Paul Biya, son héritier constitutionnel qui avait été jusque-là Premier ministre. En plus d’être chef de l’État, Paul Biya a également endossé la présidence du parti Union Nationale Camerounaise qu’il a rebaptisé Rassemblement démocratique du Peuple Camerounais (RDPC) en 1985. Depuis 1960, les Camerounais ont été soumis à deux dirigeants et n’ont jamais pu exercer le droit de choisir leur président. L’imposition d’un chef ainsi qu’un système électoral fallacieux et obsolète ont conduit à un verrouillage politique complet.
Le Cameroun est resté sous le régime monopartite de fait jusqu’en 1990 avant de passer à un système multipartite à la suite d’une profonde crise politique et économique. Cependant, le multipartisme est une pure illusion orchestrée par le président dont les manœuvres politiques révèlent une stratégie bien définie : remplir (en apparence) les conditions des bailleurs internationaux pour satisfaire la communauté internationale, et ainsi montrer une supposée volonté de soutenir la démocratie et d’instaurer la stabilité dans le pays tout en détournant l’attention de la réalité du terrain. En fin de compte, le régime de Biya a réprimé encore davantage l’opposition et a resserré son emprise sur le pouvoir, ce qui a conduit à l’hyper centralisation du pouvoir politique. Ce schéma s’est fermement établi au fil des mandats successifs du président alors que la crise anglophone et les mouvements séparatistes se sont amplifiés, entraînant de graves violations des droits de l’homme subies par l’opposition politique, les militants des droits de l’homme et les journalistes, ainsi que des atrocités et autres crimes contre l’humanité commis contre des citoyens camerounais innocents. Le conflit a fait plus de 3 000 morts et 700 000 déplacés internes. La crise anglophone a mis au jour des failles dans les institutions politiques camerounaises : l’absence d’un gouvernement représentatif et la centralisation du pouvoir ont entraîné une exacerbation des différences entre les régions anglophones et francophones et suscité un fort ressentiment de la part de la communauté anglophone à l’égard de « l’establishment » politique. Le retour à un système fédéral est crucial pour résoudre la crise.
La situation a pris un nouveau tournant en 2019 avec l’incarcération du professeur Maurice Kamto, chef de l’opposition et président du Mouvement pour la Renaissance du Cameroun (MRC). Les circonstances de son arrestation et de son emprisonnement démontrent une répression sans précédent contre l’opposition politique. La détérioration des droits de l’homme dans le pays, l’aggravation de la crise anglophone et la dérive totalitaire du régime ont conduit Maurice Kamto à appeler à des manifestations pacifiques pour exiger une réforme consensuelle du système électoral et une résolution pacifique de la crise anglophone. Cependant, il n’est pas surprenant que ces manifestations aient été fermement réprimées par le régime Biya et soient terminées une fois de plus dans la violence et le non-respect de l’État de droit et des droits de l’homme les plus fondamentaux. Plus de 500 manifestants pacifiques ont été illégalement arrêtés et à ce jour, 124 d’entre eux sont toujours détenus arbitrairement. Leur libération est une priorité absolue et les méfaits répétés du gouvernement méritent des sanctions ciblées à l’encontre des forces de sécurité et des responsables gouvernementaux impliqués dans ces actions. Le récent rapport du Département d’État américain sur les droits de l’homme au Cameroun souligne qu’un certain nombre de questions relatives aux droits de l’homme subsistent sous la « présidence musclée » de Biya, tels que : la torture et des cas de traitements cruels, inhumains ou dégradants commis par le gouvernement, des conditions de détention difficiles et mettant en danger la vie des détenus, des arrestations arbitraires, des prisonniers ou détenus politiques, des représailles politiquement motivées contre des individus, de graves problèmes avec l’indépendance du pouvoir judiciaire, l’incapacité des citoyens à changer de gouvernement de manière pacifique à travers des élections libres et justes, l’ingérence arbitraire ou illégale dans la vie privée des individus. Ces atrocités se sont déroulées sous les yeux de la communauté internationale qui reste silencieuse.
Le silence devient consentement et ce livre blanc vise à montrer comment le consentement est devenu inacceptable. Il s’agit d’un appel à l’action, dénonçant le manque de structures supposées assurer la bonne gouvernance en Afrique, qui s’avèrent primordiales pour soutenir les victimes au Cameroun et sur tout le continent. L’Union africaine et le Commonwealth semblent incapables de soutenir ou de donner une voix au peuple africain, tandis que la France reste complice à travers son contrôle exercé dans les pays africains francophones. Tirant les leçons du génocide rwandais, nous exhortons la communauté internationale à intensifier son engagement vis-à-vis de la dérive du Cameroun vers les abysses autoritaires, afin de trouver une issue durable à la crise multiforme à laquelle le pays est confronté et de donner une dernière chance à la démocratie, à l’État de droit et au respect des droits humains fondamentaux.